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22 décembre 2015 2 22 /12 /décembre /2015 14:29

Pourquoi la politique économique peut-elle échouer ? Selon une première interprétation, les responsables politiques sont bienveillants et ils commettent des erreurs parce que les théories économiques sont erronées, donc incapables de décrire la politique économique adéquate. L’un des exemples historiques d’une telle erreur est la Grande Dépression des années trente : la théorie qui dominait alors, en l’occurrence la théorie néoclassique, était incapable d’expliquer pourquoi une crise de surproduction pouvait persister, alors même que le mécanisme censé ramener l’économie à l’équilibre (la déflation) était à l’œuvre. Il fallut attendre la Théorie générale de Keynes pour pouvoir expliquer la crise et offrir une solution : la Grande Dépression peut s’interpréter comme résultant d’une insuffisance de la demande globale et aucun mécanisme marchand ne semble à même de ramener l’économie naturellement à l’équilibre, si bien que les autorités publiques doivent intervenir pour stimuler la demande globale. 

Cette première interprétation est pourtant peu pertinente pour expliquer les grandes crises macroéconomiques suivantes, notamment la stagflation des années soixante-dix et la récente grande crise mondiale. Beaucoup ont l’habitude d’expliquer chacune de ces crises par une erreur dans la théorie qui était dominante à l’époque où elle s’est produite. Par exemple, lors de la Grande Inflation des années soixante-dix, les responsables s’appuyaient sur la courbe de Phillips, or celle-ci suggérait qu’il était possible d’arbitrer entre chômage et inflation, c’est-à-dire qu’il suffisait de laisser l’inflation s’accélérer pour que le chômage diminue. Si un tel arbitrage semblait encore à l’œuvre durant les années soixante, ce ne fut plus le cas lors de la décennie suivante : le chômage et l’inflation augmentaient non plus alternativement, mais simultanément. Comme certains ont pu le suggérer, notamment les monétaristes, puis les nouveaux classiques, la courbe de Phillips pourrait en fait être simplement verticale à long terme, si bien que les possibilités d’arbitrage disparaissent à long terme. Avant qu’éclate la récente crise financière, les responsables de la politique économique auraient pris de mauvaises décisions en s’appuyant excessivement sur des modèles négligeant la finance, c’est-à-dire qui supposent impossibles les crises financières. Simon Wren-Lewis (2015c) juge toutefois ces deux récits excessivement simplistes. Au cours de ces deux épisodes, la théorie susceptible d’expliquer ces crises était disponible et la question à se poser est alors pourquoi ce savoir n’a-t-il pas été utilisé.

Ainsi, pour expliquer pourquoi la politique économique connait régulièrement des échecs, il est possible de considérer que ce n’est pas la théorie économique qui est fautive, mais les responsables même de la politique économique : s’ils ne cherchent qu’à satisfaire des intérêts particuliers, ils peuvent ignorer la théorie qui fait consensus, si bien que leurs décisions peuvent ne pas être optimales d’un strict point de vue macroéconomique et nuire finalement à l’intérêt général.

Ce n’est pourtant pas cette deuxième interprétation, mais une troisième que privilégie Wren-Lewis : il est possible, d’une part, que les responsables politiques désirent prendre les meilleures décisions et, d’autre part, que le consensus en macroéconomie soit juste. Ce qui peut être par contre défaillant, c’est ce que Wren-Lewis appelle le « mécanisme de transmission du savoir » (knowledge transmission mechanism). Il désigne par ce terme le processus par lequel les idées macroéconomiques des universitaire sont prises (ou non) en compte dans l’orientation de la politique macroéconomique.

Wren-Lewis se penche alors sur la crise de la zone euro et sur les développements qui ont touché en parallèle les Etats-Unis et au Royaume-Uni. Il rappelle que les modèles keynésiens préconisent d’adopter des politiques conjoncturelles contracycliques, c’est-à-dire de les assouplir lorsque l’économie fonctionne bien en-deçà de son potentiel et que le chômage est élevé, mais de ne les resserrer que lorsque la reprise est achevée, c’est-à-dire lorsque le PIB a rejoint la trajectoire tendancielle qu’il suivait avant la crise. En effet, les multiplicateurs budgétaires sont particulièrement élevés lors d’une récession, en particulier lorsque l’économie fait face à une trappe à liquidité (un plan de relance est alors des plus efficaces et un plan d’austérité des plus nocifs à l’activité) ; ils sont faibles lorsque l’économie a achevé sa reprise (la relance y est alors inefficace, voire même nocive, tandis que l’austérité est alors la moins dommageable à l’activité). En outre, lorsque l’économie est en récession, c’est-à-dire lorsque la demande d’actifs sûrs est forte, le creusement du déficit public et l’émission résultante de titres public contribuent à satisfaire cette demande. Bref, les gouvernements doivent attendre que la reprise soit achevée pour chercher à consolider leurs finances publiques. S’ils resserrent hâtivement leur politique budgétaire, ils risquent non seulement d’avorter la reprise et de provoquer une récession, mais aussi ne pas parvenir à se désendetter : les ratios dette publique sur PIB sont susceptibles de poursuivre leur hausse.

Les préconisations des modèles des nouveaux keynésiens ont alors été ignorées. Certes les gouvernements des pays avancés ont effectivement adopté des plans de relance lors de la Grande Récession, ce qui permit d’éviter une crise d’une aussi grande ampleur que la Grande Dépression des années trente. Malheureusement, lorsque la crise grecque éclata, les gouvernements de la zone euro, tout comme ceux du Royaume-Uni et des Etats-Unis y réagirent en adoptant des plans d’austérité. Cette généralisation de l’austérité a alors pesé sur le rythme de reprise, affaibli davantage l’inflation et surtout poussé la zone euro dans une seconde récession  Certains modèles macroéconomiques suggèrent que pour la zone euro dans son ensemble, ce resserrement de la politique budgétaire peut avoir amputé 10 % de son PIB. 

Wren-Lewis se demande alors pourquoi le mécanisme de transmission du savoir a échoué en 2010. Il souligne le rôle qu’ont (mal) joué les think tanks, les médias, le secteur financier et les ministères des Finances dans la transmission, mais c’est surtout sur un acteur qu’il se penche tout particulièrement : les banques centrales. Ces dernières ont certes la responsabilité de la politique monétaire, mais elles sont aussi le lieu où réside le savoir sur les cycles d’affaires et les politiques budgétaires. Pour faire leurs prévisions et évaluer les répercussions de telle ou telle mesure de politique économique, les banques centrales s’appuient essentiellement sur les modèles des nouveaux keynésiens, si bien qu’elles connaissent parfaitement les répercussions de la politique budgétaire, en particulier lorsque l’économie est confrontée à une trappe à liquidité. Pourtant, les banquiers centraux n’ont pas critiqué, du moins pas explicitement, le resserrement des politiques budgétaires, alors que ce dernier complique leur mission. Au contraire, la BCE a même appelé à plusieurs reprises à la consolidation budgétaire, alors que cette dernière est promise à dégrader la production et l’inflation à l’instant même où la BCE ne contrôle ni l’une, ni l’autre. 

Wren-Lewis estime que l’austérité peut servir les intérêts d’une certaine élite et que les banques centrales peuvent facilement les défendre. Les banquiers centraux souffrent en outre d’une trop grande proximité avec le secteur financier. Surtout, ils craignent pour leur indépendance et leur crédibilité. En l’occurrence, si la dette publique s’accroît fortement, les banques centrales ont peur d’être forcées de la monétiser et de perdre par là le contrôle de l’inflation. Ces craintes les amène à encourager une consolidation budgétaire qu’elles se montrent incapables de compenser. Elles connaissent les répercussions des plans d’austérité sur l’activité et l’inflation, mais elles nourrissent encore une confiance excessive envers l’efficacité de leurs mesures non conventionnelles. La sortie d’une trappe à liquidité exige pourtant que la relance budgétaire soutienne l’expansion monétaire. Malheureusement, l’indépendance des banques centrales a peut-être amélioré l’efficacité de la politique monétaire, mais elle a également réduit les chances d’une telle coopération entre autorités budgétaires et autorités monétaires.

 

Références

WREN-LEWIS, Simon (2015a), « The knowledge transmission mechanism and macroeconomic crises », in Mainly Macro (blog), 3 juin. Traduction disponible sur Annotations.

WREN-LEWIS, Simon (2015b), « Austerity as a knowledge transmission mechanism failure », in Mainly Macro (blog), 7 juin. Traduction disponible sur Annotations.

WREN-LEWIS, Simon (2015c), « The knowledge transmission mechanism and austerity. Why policy makers, rather than academic economists, made macroeconomic errors in 2010 », IMK, working paper, décembre.

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19 décembre 2015 6 19 /12 /décembre /2015 15:30

Carmen Reinhart et Christoph Trebesch (2015) ont décrit comment le rôle joué par le Fonds Monétaire International a changé depuis sa création en 1945. Ces mutations sont cohérentes avec une théorie du changement institutionnel impulsé par la demande, dans la mesure où les besoins de ses clients et le type de crises changea fortement au cours du temps.

Au cours des premières décennies de son existence, les problèmes de change étaient le principal motif d’intervention du FMI. Durant l’époque de Bretton Woods, le système international était en effet organisé autour d’un réseau de taux de change fixes. L’enjeu était alors de trouver les « bonnes » parités entre les devises. En effet, une économie avec une devise surévaluée était susceptible de voir sa balance des paiements se dégrader et de subir des pertes en réserves de change. Le FMI s’assurait à ce que ses clients aient suffisamment de moyens pour intervenir sur le marché des changes et ainsi soutenir leur monnaie. Il ne jouait alors pas le rôle d’une institution engagée dans une activité de prêt à long terme (un rôle que jouaient par contre la Banque mondiale et plusieurs agences de développement régionales).  Les prêts accordés par le FMI au cours des années cinquante et soixante étaient essentiellement des prêts de court terme et ils étaient destinés aux gouvernements des pays avancés. Ces derniers constituaient alors ses principaux clients (cf. graphique 1).

GRAPHIQUE 1  Répartition du montant des prêts du FMI entre pays développés et pays en développement (en milliards de dollars)

Le rôle du FMI : zoom sur soixante-dix ans de mutations

source : Reinhart et Trebesch (2015)

Durant les années soixante-dix, le système de Bretton Woods s’écroula et les pays avancés laissèrent peu à peu librement flotter leur taux de change. C’est à cette époque que le rôle du FMI commença à connaître sa première grande mutation. Le nombre de pays-membres augmentait fortement avec l’adhésion des pays en développement. A partir des années soixante-dix, la fréquence et la nature même des crises changèrent (cf. graphique 2). Par conséquent, le FMI élargit son champ d’intervention au-delà du domaine des crises de change ; les crises bancaires et les défauts souverains devinrent ses principaux motifs d’intervention, notamment durant les années quatre-vingt (avec les crises qui ont secoué l’Amérique latine) et durant les années quatre-vingt-dix (avec les problèmes rencontrés par les économies en transition qui émergèrent de la dissolution du bloc soviétique). Dans la mesure où les crises de la dette souveraine et les crises bancaires sont en général plus longues et plus sévères que les crises de change, la durée des prêts accordés par le FMI a eu tendance à s’allonger. Les programmes du FMI pouvaient s’étendre sur plusieurs décennies, dépassant dans certains cas vingt ans. Ils n’avaient donc plus grand-chose à voir avec les prêts qu’il accordait originellement, lorsqu’il se contentait de fournir un soutien modeste et temporaire en liquidité aux pays avancés souffrant de problèmes de balance de paiements. Ainsi, les interventions du FMI relevèrent de plus en plus d’une logique d’aide au développement de long terme.

GRAPHIQUE 2  Nombre de crises bancaires et de crises de change par an

Le rôle du FMI : zoom sur soixante-dix ans de mutations

source : Reinhart et Trebesch (2015)

Après la crise argentine et la crise uruguayenne qui ont éclaté entre 2001 et 2003, l’économie mondiale a pu sembler aux yeux de certains débarrassée des crises financières, au point que l’utilité du FMI, du moins comme gardien de la stabilité monétaire et financière mondiale, fut remise en cause à la veille de la Grande Récession. Le montant total des prêts du FMI (rapportés en pourcentage du PIB mondiale ou des importations mondiales) avait retrouvé les faibles niveaux qu’il atteignait au cours des années soixante-dix. Comme les prêts accordés aux plus grands pays en développement parvenaient à leur fin, le montant nominal des programmes (exprimé en dollars) chutait plus rapidement que le nombre de programmes. Considérant lui-même la stabilité financière comme durablement acquise, le FMI réduisit la taille de son personnel au cours de cette période.

La crise financière mondiale de 2008, la plus grave et la plus synchronisée que l’économie mondiale ait connue depuis les années trente, démontra que la stabilité financière n’était pas acquise et qu’un prêteur en dernier ressort international restait nécessaire pour la préserver. Au cours des années qui ont suivi la crise financière mondiale, le FMI a de nouveau redéfini son rôle, en accordant à des pays développés d’Europe des prêts d’un très large montant (notamment par rapport à la taille de leur économie). Le montant des prêts accordés par le FMI à divers pays européens après 2008 est le plus important qu’il ait accordé depuis sa création. En l’occurrence, les plus larges prêts ont été accordés à la Grèce pour assurer la soutenabilité de sa dette publique. Exprimés en part du PIB mondial, les engagements du FMI ont atteint un montant jamais atteint jusqu’alors (cf. graphique 3). D’une certaine manière, l’institution a retrouvé son rôle original, celui consistant à aider les pays avancés.

GRAPHIQUE 3  Montant des prêts du FMI (en % du commerce mondial et du PIB mondial)

Le rôle du FMI : zoom sur soixante-dix ans de mutations

source : Reinhart et Trebesch (2015)

Au cours des dernières années, les pays émergents se sont globalement abstenus de réclamer une assistance financière auprès du FMI. Les années deux mille ont constitué une décennie de croissance et de stabilité financière pour les pays en développement. Ils ont fait face à un environnement mondial des plus favorables : les taux d’intérêt américains étaient faibles, voire même négatifs (une fois ajustés à l’inflation), les prix des matières premières étaient élevés, la croissance chinoise était forte, contribuant par là même à soutenir les cours des matières premières, et les rendements des actifs étaient faibles dans les pays avancés. 

Cette ère de tranquillité semble s’être achevée pour les pays émergents. Ces derniers ont vu leurs comptes courants se dégrader, voire laisser place à des déficits courants, et leurs perspectives de croissance ont été régulièrement et significativement révisées à la baisse, notamment avec le ralentissement du commerce mondial et l’effondrement des prix des matières premières. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les entreprises et notamment les banques des pays émergents ont de plus en plus emprunté à de faibles taux d’intérêt internationaux, alors même que leurs devises avaient tendance à s’apprécier vis-à-vis du dollar. Aujourd’hui, le resserrement de la politique monétaire américaine et l’appréciation du dollar, dans un contexte de dépréciations des devises des pays émergents, accroissent le fardeau d’endettement extérieur de ces derniers. 

Reinhart et Trebesch estiment ainsi que le contexte est de nouveau « favorable » à ce que les pays en développement aient de nouveau à réclamer une assistance de la part du FMI. Or, comme le démontre notamment l’exemple de la Grèce depuis 2010, l’institution a pris de plus en plus de risques à prêter à des emprunteurs insolvables, alors même que ses engagements ont atteint des niveaux record et que la durée de ses prêts s’est fortement allongée. Reinhart et Trebesch en concluent que ces pratiques nuisent au rôle de prêteur en dernier ressort international du FMI. Ce dernier devrait se contenter de fournir rapidement de la liquidité aux pays subissant des crises financières de court terme.

 

Références

REINHART, Carmen, M. & Christoph TREBESCH (2015), « The International Monetary Fund: 70 years of reinvention », NBER, working paper, n° 21805, décembre.

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16 décembre 2015 3 16 /12 /décembre /2015 19:30

Depuis la crise financière mondiale, la Fed a fortement assoupli sa politique monétaire. Après avoir ramené ses taux directeurs au plus proche de zéro, elle a adopté des mesures non conventionnelles comme des achats d’actifs à grande échelle à travers ses programmes d’assouplissement quantitatif (quantitative easing). Ces diverses mesures, menées dans un contexte de faibles perspectives de croissance dans les pays avancés, ont notamment contribué à réorienter les mouvements internationaux de capitaux à destination des pays émergents, ce qui a pu stimuler l’activité, le crédit et les prix d’actifs au sein de ces derniers.

Les taux directeurs de la Fed sont à leur borne zéro depuis déjà six ans. Ils n’ont pas été relevés depuis 2006. A mesure que la reprise se poursuit aux Etats-Unis et que l’économie américaine se rapproche du plein emploi, il est de plus en plus probable que la Fed resserre sa politique monétaire. En effet, les variations des taux directeurs ne se répercutent pas immédiatement à l’économie. Or, si la Fed laisse ses taux trop longtemps trop bas, elle prend non seulement le risque d’un dérapage de l’inflation à moyen terme, mais aussi le risque d’alimenter de nouveau les déséquilibres financiers et d’exposer l’économie américaine à une nouvelle crise financière. En outre, la Fed désire normaliser sa politique monétaire afin d’avoir une marge de manœuvre suffisante pour baisser ses taux si l’économie domestique subissait un nouveau choc.

Ce resserrement a débuté avec le ralentissement (tapering) dans les achats d’actifs. Or les précédents resserrements de la politique monétaire américaine ont pu déstabiliser les pays émergents et notamment les confronter à des crises financières ; la crise de la dette des pays en développement au début des années quatre-vingt, la crise mexicaine en 1994 et la crise asiatique en 1997 sont divers épisodes qui se sont produits lors de cycles de resserrements de la politique monétaire américaine. Or l’ampleur inédite du récent assouplissement de la politique monétaire américaine pourrait laisser présager de plus sévères épisodes d’instabilité financière lors du prochain cycle de resserrement monétaire. La simple évocation du tapering au milieu de l’année 2013 a pu entraîner un effondrement des prix d’actifs, une dégradation des soldes courants, une fuite des capitaux et une dépréciation des taux de change dans le monde émergent. Depuis cet épisode, la Fed a amélioré sa communication sur les perspectives futures d’un resserrement de sa politique monétaire afin que les marchés anticipent mieux ses décisions, de façon à éviter de nouveaux épisodes de volatilité.

Carlos Arteta, Ayhan Kose, Franziska Ohnsorge et Marc Stocker (2015) ont rencensé et évalué les possibles répercussions du resserrement de la politique monétaire américaine sur le reste du monde. D’un côté, dans la mesure où le cycle de resserrement monétaire débute dans un contexte de croissance américaine robuste, or cette dernière est susceptible de bénéficier au reste du monde, notamment via l’accroissement des importations américaines. En outre, la politique monétaire sera probablement resserrée graduellement et cette normalisation a été anticipée depuis longtemps. De plus, les banques centrales des autres économies avancées sont susceptibles de maintenir une politique monétaire extrêmement accommodante, ce qui devrait continuer d’alimenter la liquidité mondiale et maintenir les taux d’intérêt mondiaux à un faible niveau. 

D’un autre côté, rien n’assure que les anticipations de marché ne s’ajusteront pas de façon désordonnée. La vigueur même de la croissance américaine et la situation du marché du travail restent incertaines, or de telles incertitudes ne permettent pas d’évaluer jusqu’à quel point la Fed se rapproche des objectifs associés à son double mandat. En outre, les anticipations de marché quant à l’évolution future des taux d’intérêt sont inférieures aux anticipations du comité de politique monétaire de la Fed, si bien qu'elles sont susceptibles d'être subitement révisées à la hausse. Surtout, les pays émergents font déjà face à un environnement macroéconomique fragile : la croissance mondiale est lente, la croissance des échanges mondiaux est faible et les prix des matières premières sont faibles, détériorant les perspectives de croissance des pays qui les exportent. Aussi bien la croissance du PIB des pays émergents, que la croissance de leur PIB potentiel, ont fortement ralenti ces dernières années. Plusieurs d’entre eux sont marqués par des fragilités domestiques et ont notamment connu une forte hausse de leur dette privée, ce qui expose leurs résidents à de douloureux ajustements de bilan. L’appréciation du dollar est susceptible de se poursuivre avec le resserrement de la politique monétaire américaine, or elle risque d’aggraver davantage les perspectives de croissance des pays émergents [Druck et alii, 2015]. La réalisation soudaine de ces risques peut entraîner un déclin significatif des flux de capitaux à destination des pays émergents. Les plus fragiles d’entre eux font donc face au risque d’un véritable arrêt soudain (sudden stop) dans les entrées de capitaux, ce qui entraînerait non seulement une contraction de leur activité domestique, mais les expose aussi à une crise financière.

Swarnali Ahmed (2015) s’est lui-même récemment penché sur les épisodes passés de resserrements de la politique monétaire américaine pour en déterminer les répercussions sur les mouvements internationaux de capitaux. Il utilise un échantillon de 48 pays, dont 27 pays avancés et 21 pays émergents, entre 1982 et 2006, une période au cours de laquelle il y a eu cinq cycles de resserrements monétaires. Il constate que les répercussions sur les flux de portefeuille ou sur l’ensemble des flux de capitaux privés sont significativement plus fortes pour les pays émergents que pour les pays avancés. Les flux de capitaux des pays émergents sont affectés un trimestre avant le premier relèvement des taux directeurs de la Fed, ce qui suggère que les marchés anticipent cet événement. Ahmed estime toutefois que les pays émergents peuvent difficilement contrer ces répercussions avant la première hausse des taux, par exemple en imposant un contrôle des capitaux, puisque son analyse suggère que les pays qui ont libéralisé leur compte de capital ne sont pas plus affectés que les autres. Par contre, une fois que la Fed a commencé à relever ses taux, les pays émergents peuvent mettre en place des mesures susceptibles d’atténuer les répercussions de ce resserrement monétaire sur les flux de capitaux. Ahmed note par exemple que les pays ayant ouvert leur compte de capital ont connu une reprise plus rapide.

 

Références

AHMED, Swarnali (2015), « If the Fed acts, how do you react? The liftoff effect on capital flows », FMI, working paper, n° 15/256, décembre.

ARTETA, Carlos, M. Ayhan KOSE, Franziska OHNSORGE & Marc STOCKER (2015), « The coming U.S. interest rate tightening cycle: Smooth sailing or stormy waters? », CAMA, working paper, n° 37/2015, octobre.

DRUCK, Pablo, Nicolas E. MAGUD & Rodrigo MARISCAL (2015), « Collateral damage: Dollar strength and emerging markets’ growth », FMI, working paper, n° WP/15/179, juillet.

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