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3 novembre 2022 4 03 /11 /novembre /2022 11:23
Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

L’économie mondiale a subi une suite de chocs majeurs ces dernières années, en l’occurrence la pandémie de Covid-19, puis l’invasion russe de l’Ukraine. Ces chocs ont directement contribué à alimenter l’inflation et à déprimer l’activité économique. Ils y ont également contribué indirectement, en entraînant d’amples variations des taux de change.

GRAPHIQUE 1  Evolution du taux de change de l'euro en dollars

Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

source : FRED

L’une des évolutions les plus commentées est la forte appréciation du dollar vis-à-vis de la plupart des devises [Gopinath et Gourinchas, 2022 ; Hofmann et alii, 2022]. Il s’est par exemple apprécié de 28 % vis-à-vis du yen et de 16 % vis-à-vis de l’euro ; le taux de change du dollar vis-à-vis du yen est en train de retrouver des niveaux qu’il n’avait plus atteints depuis 1990, tandis que celui du dollar en euro se trouve à des niveaux qu’il n’avait plus atteints depuis 2002 (cf. graphique 1). L’indice du dollar, calculé à partir d’un panier de devises étrangères, s’est apprécié d’environ 10 % depuis le début de l’année 2022, retrouvant un niveau qu’il n’avait plus atteint depuis pratiquement quatre décennies (cf. graphique 2). Le dollar s’est apprécié vis-à-vis de la grande majorité des devises ; parmi les exceptions, le Brésil et le Mexique ont vu leur monnaie s’apprécier vis-à-vis du dollar. Dans l’ensemble, le dollar s’est davantage apprécié vis-à-vis des devises des autres pays développés que vis-à-vis des devises des pays émergents ou en développement.  

GRAPHIQUE 2  Evolution de l’indice réel du dollar américain (en indices, base 100 en janvier 2006)

Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

source : Hofmann et alii (2022)

L’appréciation du dollar est cohérente avec les fondamentaux économiques [Gopinath et Gourinchas, 2022 ; Hofmann et alii, 2022]. Elle tient tout d’abord aux changements des termes de l’échange provoqués par la hausse des prix des aliments et de l’énergie (cf. graphique 3). En effet, lorsque les termes de l’échange, c’est-à-dire le rapport entre les prix des exportations sur les prix des importations, changent, le taux de change tend à varier de façon à stabiliser le solde extérieur. En l’occurrence, la hausse du prix des produits de base tend à détériorer les termes de l’échange des pays importateurs nets de produits de base, donc leur solde extérieur, ce qui pousse leur devise à se déprécier ; symétriquement, la hausse du prix des produits de base tend à améliorer les termes de l’échange des pays qui en sont des exportateurs nets, donc leur solde extérieur, ce qui pousse leur devise à s’apprécier. La zone euro et le Japon sont précisément importatrices nettes d’énergie. L’économie américaine étant désormais exportatrice nette d’énergie, l’actuelle hausse des prix de l’énergie s’est traduite, non pas par une détérioration de ses termes de l’échange comme ce fut le cas lors des hausses précédentes des prix de l’énergie, mais au contraire par une amélioration de ses termes de l’échange.

GRAPHIQUE 3  Variation des termes de l’échange depuis janvier 2022 (en %)

Les causes et conséquences de la récente appréciation du dollar

source : Hofmann et alii (2022)

L’appréciation du dollar tient également du fait que les politiques monétaires ne sont pas resserrées au même rythme à travers le monde : la Réserve fédérale relève plus rapidement ses taux d’intérêt les banques centrales des autres pays développés. En effet, la zone euro est certes confrontée à une aussi forte inflation que les Etats-Unis, mais la BCE se montre pour l’instant moins agressive dans son resserrement monétaire, peut-être notamment par peur de provoquer une nouvelle crise de la dette souveraine ; le Japon est toujours confronté à une faible inflation, ce qui réduit la nécessité que sa banque centrale resserre sa politique monétaire. Cette différence de rythme dans les resserrements monétaires et la fuite vers la sécurité provoquée par la hausse de l’incertitude ont notamment alimenté la demande d’actifs en dollars, donc poussé le taux de change du dollar à la hausse. Par contre, les banques centrales des pays émergents et en développement ont plutôt eu tendance à prendre de l’avance sur la Fed pour resserrer leur politique monétaire, peut-être parce qu’elles craignent les effets d’une appréciation du dollar. Cela contribue à expliquer pourquoi leurs monnaies ont moins eu tendance à se déprécier vis-à-vis du dollar que celles des pays développés et pourquoi le Brésil et le Mexique ont vu les leurs s’apprécier vis-à-vis du dollar.

L’appréciation du dollar n’est pas sans conséquence. En effet, malgré l'érosion de la part de l'économie américaine dans l'économie mondiale, le dollar reste la principale devise internationale [Ilzetzki et alii, 2019 ; Ilzetzki et alii, 2021 ; Arslanalp et alii, 2022 ; Krugman, 2022a ; Chinn, 2022 ; Krugman, 2022b]. Par exemple, il s’agit de la monnaie la plus utilisée pour convertir des devises, pour facturer et régler les échanges commerciaux et pour libeller les prêts transfrontaliers ; c’est avant tout le dollar que les banques centrales utilisent pour accumuler des réserves de change ou auquel elles ancrent leur monnaie. Du fait du rôle qu’il joue dans le commerce international et dans le système financier, les fluctuations du taux de change du dollar ont de profondes répercussions économiques et financières à travers le monde [Gopinath et Gourinchas, 2022 ; Hofmann et alii, 2022].

Tout d’abord, en raison du rôle du dollar dans la facturation des échanges commerciaux, une appréciation de son taux de change tend à accroître les prix à l’importation dans le reste du monde. Ainsi, en moyenne, une appréciation de 10 % du dollar est associée à une hausse d’un point de pourcentage de l’inflation [Gopinath et alii, 2020]. A la différence des épisodes passés, la récente appréciation du dollar a coïncidé avec une hausse des prix des produits de base, ce qui a aggravé l’effet inflationniste de celle-ci [Hofmann et alii, 2022]. En outre, l’appréciation du dollar tend à aller de pair avec un essoufflement du commerce international. En effet, quand le dollar s’apprécie, les prix à l’importation augmentent, mais les prix à l’exportation ne se modifient pas immédiatement, ce qui déprime la demande de produits importés. Une appréciation de 1 % du dollar vis-à-vis des autres devises est associée à une baisse de 0,6 à 0,8 % du volume annuel d’échanges entres les pays dans le reste du monde [Boz et alii, 2017].

Ensuite, l’appréciation du dollar, conjuguée au resserrement de la politique monétaire américaine, est aussi associée à un durcissement des conditions de financement à travers le monde. Ceux qui, en dehors des Etats-Unis, s’étaient endettés en dollar voient le fardeau de leur endettement s’alourdir. Dans les deux cas, l’activité économique s’en trouve directement déprimée et le risque de défauts de paiement et donc de crise financière augmente. Les crises de change de la seconde moitié des années 1990, notamment la « crise tequila » subie par le Mexique en 1994 et la crise asiatique de 1997, se sont produites dans le sillage d’une forte appréciation du dollar américain. 

Les pays émergents et en développement sont davantage affectés par une appréciation du dollar que les pays développés. En effet, ils sont davantage dépendants des importations et une plus grande part de leurs importations est facturée en dollars. En outre, leur système financier est moins développé, si bien que leurs résidents ont davantage tendance à s’endetter en dollars. Certes, les crises de change de la fin des années et en particulier la crise asiatique ont amené les pays émergents à chercher à moins s’endetter en dollar, mais leurs entreprises sont encore très endettées en dollar. Plusieurs études ont confirmé l’effet négatif d’une appréciation du dollar sur la croissance des pays émergents [Druck et alii, 2015]. Par exemple, Fernando Eguren Martin et alii (2017) estiment qu’une appréciation de 10 % du dollar réduit en moyenne de 1,5 point de pourcentage la croissance des pays émergents. 

Ainsi, les effets de l’appréciation du dollar se conjuguent à ceux de l’inflation et du resserrement des politiques monétaires pour déprimer la croissance des pays à travers le monde. La monnaie américaine devrait continuer à s’apprécier, dans la mesure où la Réserve fédérale poursuit son resserrement monétaire ; hier, elle a relevé son principal taux de 0,75 point de pourcentage, le ramenant aux niveaux qu’il atteignait début 2008, et elle a indiqué qu’elle compte pour l'instant procéder à de nouvelles hausses. Ces toutes dernières décennies, la Fed s’est montrée relativement insouciante quant aux répercussions de ses décisions sur le reste du monde [Eichengreen, 2013]. Aujourd'hui, au vu du niveau historiquement élevé atteint par l’inflation américaine, elle est très certainement focalisée sur des objectifs purement domestiques. 

 

Références

ARSLANALP, Serkan, Barry EICHENGREEN & Chima SIMPSON-BELL (2022), « The stealth erosion of dollar dominance: Active diversifiers and the rise of nontraditional reserve currencies », FMI, working paper, n° 22/58, mars.

BOZ, Emine, Gita GOPINATH & Mikkel PLAGBORG-MØLLER (2017), « Global trade and the dollar », NBER, working paper, n° 23988, novembre.

CHINN, Menzie (2022), « The demise of dollar dominance? », in Econbrower (blog), 10 juin.

DRUCK, Pablo, Nicolas E. MAGUD & Rodrigo MARISCAL (2015), « Collateral damage: Dollar strength and emerging markets’ growth », FMI, working paper, n° 15/179, juillet.

EGUREN MARTIN, Fernando, Mayukh MUKHOPADHYAY & Carlos van HOMBEECK (2017), « The global role of the US dollar and its consequences », Bank of England, Quarterly Bulletin, quatrième trimestre.

EICHENGREEN, Barry (2013), « Does the Federal Reserve care about the rest of the world? », NBER working paper, n° 19405, septembre.

GOPINATH, Gita, Emine BOZ, Camila CASAS, Federico J. DÍEZ, Pierre-Olivier GOURINCHAS & Mikkel PLAGBORG-MØLLER (2020), « Dominant currency paradigm », in American Economic Review, vol. 110, n° 3, mars.

GOPINATH, Gita, & Pierre-Olivier GOURINCHAS (2022), « Quelles mesures les pays doivent-ils prendre face au dollar fort ? », FMI, blog, 14 octobre.

HOFMANN, Boris, Aaron MEHROTRA & Damiano SANDRI (2022), « Global exchange rate adjustments: Drivers, impacts and policy implications », BRI, BIS Bulletin, n° 62, novembre.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2019), « Exchange arrangements entering the twenty-first century: Which anchor will hold? », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 134, n° 2.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021), « Rethinking exchange rate regimes », NBER, working paper, n° 29347.

KRUGMAN, Paul (2022a), « Why the dollar dominates », 15 avril.

KRUGMAN, Paul (2022b), « The mysteries of the almighty dollar », 9 septembre.

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27 mars 2022 7 27 /03 /mars /2022 16:05
La discrète érosion de la suprématie du dollar

Quatre décennies après l’écroulement du système de Bretton Woods, le dollar américain continue de jouer un rôle disproportionné dans le système monétaire international [Gourinchas, 2019 ; Ilzetzki et alii, 2019 ; Ilzetzki et alii, 2021b]. Il constitue, de loin, la principale devise utilisée pour régler les transactions commerciales, pour libeller les prêts, pour réaliser les activités bancaires transfrontalières, pour accumuler les réserves de change ou encore pour servir d’ancre aux autres monnaies. Le dollar reste la principale devise internationale alors même que la contribution de l’économie américaine à l’économie mondiale tend à diminuer. Le niveau exceptionnellement élevé atteint pas la dette publique des Etats-Unis n’a pas non plus ébranlé son statut. Il n’a guère été affecté par la crise financière mondiale, alors même que celle-ci a eu pour épicentre le système financier américain ; au contraire, sa part dans l’endettement international a même augmenté depuis. La création de la zone euro et l’essor de l’économie chinoise ont fait émerger deux possibles concurrents, mais aucun d’entre eux n’a détrôné le dollar.

Certains, comme Eswar Prasad (2014), estiment que le dollar « règne en maître par défaut », c’est-à-dire en raison de l’absence de sérieuse alternative. L’euro souffrirait notamment de l’offre limitée de titres publics de haute qualité émis par la zone euro susceptibles de jouer le rôle d’actifs sûrs pour les investisseurs financiers ou d’être utilisés par les banques centrales pour accumuler leurs réserves [Eichengreen et Gros, 2020 ; Ilzetzki et alii, 2021a]. L’usage du renminbi est notamment contraint par les contrôles des capitaux instaurés par la Chine [Prasad et Ye, 2013].

En se penchant sur l’évolution de la composition des réserves de change à travers le monde ces dernières décennies, Serkan Arslanalp, Barry Eichengreen et Chima Simpson-Bell (2022) décèlent toutefois bien une baisse régulière de la part du dollar américain dans les réserves internationales depuis le tournant du vingt-et-unième siècle. En effet, cette part a reculé de 12 points de pourcentage entre 1999 et 2021, en passant de 71 % à 59 % (cf. graphique).

GRAPHIQUE  Composition en devises des réserves de change étrangères à travers le monde (en %)

La discrète érosion de la suprématie du dollar

source : Arslanalp et alii (2022)

Sa baisse n’a pas eu pour contrepartie une hausse de la part de l’euro, de la livre sterling et du yen, les trois autres devises qui ont joué par le passé un rôle majeur dans le système financier international : c’est la part des devises de réserve non traditionnelles qui a significativement augmenté, en passant d’un niveau négligeable en 1999 à 10 % en 2021. En l’occurrence, le recul du dollar dans les réserves de change s’expliquerait pour un quart par l’essor du renminbi et pour les trois quarts restants par celui d’autres devises de réserves non traditionnelles.

En creusant davantage, Arslanalp et ses coauteurs concluent que la baisse de la part du dollar dans les réserves internationales ne résulte pas des variations des taux de change ou des taux d’intérêt ; les gestionnaires des réserves tendent à compenser ces fluctuations en rééquilibrant leurs portefeuilles de façon à restaurer leur composition antérieure. La baisse de la part du dollar dans les réserves de change ne résulte pas non plus de l’accumulation de réserves par une poignée de banques centrales qui seraient dotées d’un large bilan et qui nourriraient une préférence pour les devises autres que le dollar. En fait, l’érosion du dollar dans les réserves de change trouverait son origine dans la diversification de portefeuilles opérée par les gestionnaires des réserves de nombreuses banques centrales : Arslanalp et ses coauteurs identifient plus d’une quarantaine de pays qui diversifieraient significativement leurs réserves au profit de devises de réserves non traditionnelles. 

Arslanalp et ses coauteurs concluent au terme de leur travail que, si la domination du dollar arrivait à son terme, ce serait certainement sous les coups, non pas de ses principaux rivaux, mais d’un large groupe de devises alternatives. 

 

Références

ARSLANALP, Serkan, Barry EICHENGREEN & Chima SIMPSON-BELL (2022), « The stealth erosion of dollar dominance: Active diversifiers and the rise of nontraditional reserve currencies », FMI, working paper, n° 22/58. 

EICHENGREEN, Barry, & Daniel GROS (2020), « Post-COVID-19 global currency order: Risks and opportunities for the euro », Parlement européen.

GOPINATH, Gita, & Jeremy STEIN (2021), « Banking, trade, and the making of a dominant currency », in Quarterly Journal of Economics, vol. 136.

GOURINCHAS, Pierre-Olivier (2021), « The dollar hegemon? Evidence and implications for policymakers », in Steven J. Davies et alii (dir.), Asian Monetary Policy Forum, World Scientific.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2019), « Exchange arrangements entering the 21st century: Which anchor will hold? », in Quarterly Journal of Economics, vol. 134, n° 2.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021a), « Why is the euro punching below its weight? », in Economic Policy, vol. 35, n° 103.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021b), « Rethinking exchange rate regimes », NBER, working paper, n° 29347.

PRASAD, Eswar (2014), « The dollar reigns supreme, by default », in FMI, Finance and Development, mars. Traduction française, « Le dollar règne en maître, par défaut », in Finances & Développement, mars.

PRASAD, Eswar, & Lei (Sandy) YE (2013), « The renminbi’s prospects as a global reserve currency », in Cato Journal, vol. 33, n° 3.

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21 décembre 2021 2 21 /12 /décembre /2021 11:18
Le système de change en ce début de vingt-et-unième siècle

Ethan Ilzetzki, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (2021b) sont revenus sur les évolutions du système de change mondial observées depuis le tournant du siècle. Ils estiment que les événements et la recherche économique de ces deux dernières décennies ont fait émerger un nouveau consensus en matière de change. 

Tout d’abord, malgré le déclin de la part de l’économie américaine dans l’économie mondiale, le dollar américain apparaît encore plus central au système financier international, que ce soit en tant qu’unité de compte ou intermédiaire des échanges qu’en tant de réserve de valeur. En l’occurrence, le dollar reste la principale devise d’ancrage : la part des pays, pondérés ou non selon leur PIB, ayant ancré leur monnaie sur le dollar a régulièrement augmenté pour revenir au niveau atteint au summum de Bretton Woods. Une part significative des règlements des échanges commerciaux, des émissions d’obligations privées et des actifs sûrs est libellée en dollars et la monnaie américaine constitue le principal actif dans les réserves de change des banques centrales : les actifs en dollars représentent environ 60 % des réserves des banques centrales, contre 20 % pour les actifs en euros (cf. graphique 1). Le « privilège exorbitant » des Etats-Unis ne se résume pas seulement à la capacité du gouvernement américain à s’endetter à de faibles taux ; il se manifeste peut-être le plus clairement avec la capacité des petites et moyennes entreprises américaines à emprunter dans le reste du monde à des conditions avantageuses dont ne jouissent aucune de leurs consœurs étrangères.

GRAPHIQUE 1  Montant (en milliards de dollars américaines) et répartition (en %) des réserves de change des banques centrales

Le système de change en ce début de vingt-et-unième siècle

source : Ilzetzki et alii (2021b)

L’essor de l’euro comme devise internationale a été très limité (Ilzetzki et alii, 2021a). Selon certains indicateurs, la monnaie unique ne joue pas de plus grand rôle en dehors de l’Europe que les devises nationales qu’il a remplacées. Ces dernières décennies, avec l’émergence de l’économie chinoise, le renminbi est apparu comme un possible rival au dollar, mais pour l’instant il joue un rôle extrêmement limité. L’activité de prêt de la Chine à l’étranger a même renforcé, et non pas réduit, le rôle du dollar, dans la mesure où ces prêts sont très souvent libellés en dollars (Horn et alii, 2021). Dans tous les cas, même si le système international semble se configurer autour de deux ou trois blocs de devises, Ilzetzki et ses coauteurs doutent que le dollar soit rapidement détrôné comme principale devise internationale. L’Histoire montre que lorsqu’une monnaie est parvenue à s’établir au sommet de l’architecture financière internationale, elle tend à y rester durablement. Rares sont les changements de devise dominante et, lorsqu’ils surviennent, c’est au terme d’une longue transition.

Deuxièmement, alors que l’on avait tendance à considérer il y a deux décennies que chaque pays n’avait en définitive le choix qu’entre deux extrêmes, en l’occurrence le libre flottement de sa monnaie ou l’ancrage dur de celle-ci sur une autre devise, Ilzetzki et ses coauteurs notent que les régimes de change intermédiaires continent de dominer (cf. graphique 2). Ces derniers, allant de l’ancrage glissant (crawling peg) au flottement administré (managed floating), sont adoptés par 40 % des pays, représentant 50 % du PIB (Ilzetzki et alii, 2019). Ces dernières décennies, beaucoup de banques centrales sont massivement intervenues, en particulier pour contenir l’appréciation de leur monnaie. L’accumulation de réserves de change par les pays émergents a contribué, avec l’effondrement de l’inflation et de sa volatilité, à ce que les taux de change soient bien plus stables qu’à la fin du vingtième siècle. Alors que les effondrements du taux de change étaient fréquents durant les années 1990 et au début des années 2000, ils ont ensuite été bien plus rares. Cette tendance remet en cause l’idée répandue au tournant du siècle selon laquelle les régimes de change intermédiaires risquent de se solder par des crises de change.

GRAPHIQUE 2  Répartition des pays selon leur régime de change (en %)

Le système de change en ce début de vingt-et-unième siècle

source : Ilzetzki et alii (2021b)

Troisièmement, ces tendances dans la stabilisation des taux de chance se sont étendues au cœur même du système monétaire international. La volatilité du dollar américain, du yen, du deutschemark, puis de l’euro a régulièrement décliné au fil des décennies. Cette dynamique s’explique en partie par la coordination internationale, notamment les lignes de swap durant la crise financière mondiale, puis l’épidémie de Covid-19. Pour Ilzetzki et ses coauteurs, elle tient sûrement davantage au faible niveau et à la faible volatilité des taux d’inflation et des taux d’intérêt. 

Quatrièmement, la plupart des devises sont désormais convertibles et les contrôles de capitaux ont été graduellement retirés, tout d’abord dans les pays développés, puis dans les pays en développement. Notamment en conséquence de ce mouvement d’ouverture financière, le volume de flux de capitaux a explosé : fluctuant autour de 10 % du PIB mondial dans les années 1980, celui-ci a fortement augmenté à partir du milieu des années 1990 pour atteindre 25 % du PIB mondial en 2000, puis 45 % en 2007, avant de plonger avec la crise financière mondiale (cf. graphique 3). La libéralisation financière s’est poursuivie alors même que plusieurs travaux empiriques suggèrent que les afflux de capitaux étrangers peuvent finir par se révéler déstabilisateurs (Reinhart et Reinhart, 2008) et que les contrôles de capitaux peuvent être efficaces comme outils macroprudentiels (Ostry et alii, 2010 ; 2011). 

GRAPHIQUE 3  Flux de capitaux internationaux

Le système de change en ce début de vingt-et-unième siècle

source : Ilzetzki et alii (2021b)

Enfin, l’accumulation massive d’actifs sûrs, principalement libellés en dollars américains, s’explique en partie par les tentatives des banques centrales d’administration leur taux de change tout en maintenant la libre circulation des capitaux. Autrement, il s’agit d’une façon pour les banques centrales de gérer le « triangle d’incompatibilité » (ou « impossible trinité »).

GRAPHIQUE 4  PIB des Etats-Unis et réserves de change des banques centrales (en % du PIB mondial)

Le système de change en ce début de vingt-et-unième siècle

source : Ilzetzki et alii (2021b)

Cette accumulation de réserves de change, qui contribue à soutenir la demande mondiale d’actifs sûrs, en particulier de ceux libellés en dollars, fait peser sur le système international un risque similaire à celui observé par Robert Triffin (1960) dans le cas du système de Bretton Woods (Farhi et alii, 2011 ; Farhi et Maggiori, 2018). Aujourd’hui, environ la moitié des actifs sûrs dans le monde sont adossés sur la capacité budgétaire d’un unique Etat, en l’occurrence le gouvernement fédéral des Etats-Unis. Or, la demande d’actifs sûrs libellés en dollars a explosé et permis au gouvernement américain de s’endetter à de très bas taux d’intérêt, alors même que l’assiette fiscale sur laquelle ces actifs sont adoptés s’est érodée (cf. graphique 4). Les questions qui se posent aujourd’hui est de savoir, d’une part, si les Etats-Unis seront capables de continuer de convaincre les investisseurs financiers qu’ils disposent d’une capacité budgétaire suffisante pour soutenir leur endettement public et, d’autre part, si la demande d’actifs sûrs restera aussi forte qu’elle l’a été ces dernières décennies. Rien n’assure que l’économie mondiale restera indéfiniment au même équilibre (Farhi et Maggiori, 2018).

 

Références

FARHI, Emmanuel, Pierre-Olivier GOURINCHAS & Hélène REY (2011), Reforming the International Monetary System, CEPR.

FARHI, Emmanuel, & Matteo MAGGIORI (2018), « A model of the international monetary system », in Quarterly Journal of Economics, vol. 133, n° 1.

HORN, Sebastian, Carmen REINHART & Christoph TREBESCH (2021), « China’s overseas lending », in Journal of International Economics, vol. 133.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2019), « Exchange arrangements entering the twenty-first century: Which anchor will hold? », in The Quarterly Journal of Economics, vol. 134, n° 2.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021a), « Why is the euro punching below its weight? », in Economic Policy, vol. 35, n° 103.

ILZETZKI, Ethan, Carmen M. REINHART & Kenneth S. ROGOFF (2021b), « Rethinking exchange rate regimes », NBER, working paper, n° 29347.

OSTRY, Jonathan D., Atish R. GHOSH, Karl HABERMEIER, Marcos CHAMON, Mahvash S. QURESHI & Dennis B.S. REINHARDT (2010), « Capital inflows: The role of controls », FMI, staff position note, n° 10/04.

OSTRY, Jonathan D., Atish R. GHOSH, Karl HABERMEIER, Luc LAEVEN, Marcos CHAMON, Mahvash S. QURESHI & Annamaria KOKENYNE (2011), « Managing capital inflows: What tools to use? », FMI, staff discussion note, n° 11/06.

REINHART, Carmen, & Vincent REINHART (2008), « Capital flow bonanzas: An encompassing view of the past and present », in J. Frankel & C. Pissarides (dir.), NBER International Seminar on Macroeconomics 2008.

TRIFFIN, Robert (1960), Gold and the Dollar Crisis: The Future of Convertibility, Yale University Press.

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