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1 juillet 2017 6 01 /07 /juillet /2017 22:32
Quand les gouvernements mettent-ils en œuvre des réformes structurelles ?

De nombreuses études ont cherché à identifier quels facteurs favorisaient la mise en œuvre de réformes « structurelles », en particulier celles menées sur le marché du travail et sur les marchés des biens et services. La plupart d’entre elles montrent que les gouvernements sont les plus susceptibles de mettre en œuvre des réformes structurelles lorsque l’économie connaît une récession ou lorsque le taux de chômage est élevé. Ce résultat peut s’expliquer de deux façons : soit les gouvernements profitent des récessions et des épisodes de chômage élevé pour adopter des réformes, dans la mesure où un tel contexte réduit le risque que l’adoption de telles mesures suscite une opposition, aussi bien dans la sphère politique que dans la rue ; soit les gouvernements prennent conscience de la nécessité d’adopter des mesures en faveur de la croissance précisément lorsque cette dernière est décevante. Or, non seulement les effets positifs des réformes structurelles n’apparaissent pas immédiatement, mais celles-ci ont pour effet immédiat de dégrader la demande globale et d’aggraver le chômage. Bref, elles risquent d’entraîner ou d’aggraver une récession si elles ne s’accompagnent pas d’un assouplissement suffisant des politiques conjoncturelles.

En s’appuyant sur un échantillon de 21 pays de l’OCDE sur la période allant de 1980 à 2003, Thai Tanh Dang, Vincenzo Galasso, Jens Hoj et Giuseppe Nicoletti (2006) ont noté que les réformes sont plus fréquentes lorsque les finances publiques sont saines, ce qui pourrait s’expliquer par le fait que les gouvernements peuvent alors plus facilement offrir des compensations au groupes affectés par les réformes ou bien assouplir leur politique budgétaire pour compenser l’effet négatif des réformes sur la demande globale ; par contre, les consolidations budgétaires tendent à ralentir le rythme des réformes. En utilisant un échantillon de 26 pays développés, Romain Duval, Davide Furceri et Jakob Miethe (2017) estiment plutôt que l’adoption des réformes est peu corrélée à la situation budgétaire. De leur côté, en analysant une quarantaine de pays appartenant à l’OCDE et/ou à l’UE entre 1975 et 2013, Antonio Dias Da Silva, Audrey Givone et David Sondermann (2017) estiment que le sens de la corrélation (lorsqu’elle existe) dépend en fait du type de réforme. En l’occurrence, les marchés des produits seraient surtout réformés lors des consolidations budgétaires, tandis que les marchés du travail seraient surtout réformés lors des expansions budgétaires. Leur analyse suggère en outre que les périodes de faibles taux d’intérêt favorisent (et non freinent, comme certains tendent fréquemment à l’affirmer) les réformes structurelles ; l’assouplissement monétaire contribue directement à atténuer l’impact que peuvent avoir les réformes sur la demande globale et il offre en outre davantage de marge de manœuvre aux gouvernements pour assouplir leur politique budgétaire.

Duval et ses coauteurs montrent aussi que la pression en faveur de la mise en œuvre de réformes est plus forte si peu d’actions ont été entreprises dans ce sens par le passé. Par exemple, la probabilité que soit adoptée une réforme des marchés des produits est d’autant plus forte que ceux-ci sont fortement réglementés au cours de la précédente période. De leur côté, Dias Da Silva et ses coauteurs ont constaté que l'adoption de réformes sur le marché des produits tend à accroître la probabilité que soient mises en œuvre des réformes structurelles sur le marché du travail. Ce séquençage des réformes est cohérent avec ce que prescrivent leurs partisans parmi les économistes [Blanchard et Giavazzi, 2003]. En effet, une libéralisation des marchés des biens et services se traduit par la réduction des barrières à leur entrée, si bien que de nouvelles firmes entrent sur le marché et, par ce biais-là notamment, les prix baissent avec l’intensification de la concurrence. Cela permet de contrebalancer les effets pervers d’une réforme du marché du travail. En effet, cette dernière peut se traduire à court terme par une baisse des salaires, voire une hausse du chômage. Mais, si les marchés des produits ont précédemment été réformés, la baisse des prix qui en résulte va compenser les pertes de pouvoir d’achat des salariés et stimuler les ventes, donc inciter les entreprises à ne pas licencier, voire à embaucher. Autrement dit, les salariés seront moins enclins à se mobiliser contre une réforme du marché du travail si d’autres réformes leur permettent de gagner initialement en pouvoir d’achat.

Le rôle des « variables » politiques est plus ambigu. Dang et ses coauteurs estiment que les gouvernements tendent à d’autant plus réformer qu’ils sont longtemps en place. Leur analyse suggère en outre que les gouvernements de droite réforment davantage que ceux du centre et de gauche. De leur côté, Dias Da Silva et ses coauteurs estiment que l’orientation politique du gouvernement a peu d’influence sur la mise en œuvre des réformes, que les réformes structurelles ont plus de chances d’être abouties lorsque c’est un même parti qui contrôle l’exécutif et le législatif, mais aussi que l’approche d’élections nationales ne semble pas influencer la mise en œuvre de réformes structurelles. Duval et ses coauteurs estiment que le calendrier des élections joue un rôle déterminant, en particulier en ce qui concerne la législation de la protection de l’emploi : les réformes touchant cette dernière tendent à être adoptées à une date très éloignée des élections, très certainement en raison de leur impopularité. En outre, ils constatent que les régimes parlementaires sont davantage susceptibles d’adopter des réformes, sauf dans le cas des réformes majeures touchant aux politiques d’activation.

Duval est ses coauteurs mettent aussi en évidence une pression exercée par le voisinage : un pays est d’autant plus susceptible d’entreprendre une réforme structurelle dans un domaine donné que ses voisins et ses principaux partenaires commerciaux l’ont menée. En outre, plusieurs réformes menées sur les marchés des produits dans les pays de l’Union européenne lors de leur phase d’accession à celle-ci, ce qui reflète la pression qu’ils ont pu subir au cours de cette période.

Enfin, Duval est ses coauteurs constatent aussi que ce sont les pays vieillissants qui sont les plus susceptibles de connaître des réformes des marchés des produits et de la législation entourant la protection de l’emploi, très certainement parce que de telles mesures tendent à davantage bénéficier aux personnes âgées qui ne sont plus actifs qu’aux personnes en âge de travailler. On peut alors penser que plus une société vieillit, moins la résistance aux réformes sera importante avec le déclin de la population active, plus une partie importante de l’électorat (les retraités) approuvera ces réformes. 

 

Références

BLANCHARD, Olivier, & Francesco GIAVAZZI (2003), « Macroeconomic effects of regulation and deregulation in goods and labour markets », in Quarterly Journal of Economics, vol. 118, n° 3.

DANG, Thai Tanh, Vincenzo GALASSO, Jens HOJ & Giuseppe NICOLETTI (2006), « The political economy of structural reform: Empirical evidence from OECD countries », OCDE, economics department working paper, n° 501.

DIAS DA SILVA, Antonio, Audrey GIVONE & David SONDERMANN (2017), « When do countries implement structural reforms? », BCE, working paper, n° 2078.

DUVAL, Romain, Davide FURCERI & Jakob MIETHE (2017), « Breaking the deadlock: Identifying the political economy drivers of structural reforms », document de travail.

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3 juillet 2016 7 03 /07 /juillet /2016 21:17

Suite à la crise de la dette souveraine, les pays-membres de la zone euro, en particulier ceux de la périphérie, ont accéléré la mise en œuvre de réformes visant à réduire les rigidités sur le marché du travail et les marchés des produits. Les pays de la zone euro ont ainsi flexibilisé plus rapidement leurs marchés des produits que les autres pays de l'OCDE (cf. graphique a). La réglementation du marché du travail est certes toujours plus stricte dans la zone euro que dans les autres pays de l'OCDE, mais ces derniers l'ont allégée alors que les autres pays de l'OCDE avaient au contraire tendance à la resserrer (cf. graphique b).

GRAPHIQUES  Indices de réglementation sur les marchés des produits et du travail

Flexibilité versus stabilité : le dilemme de la zone euro

source : De Grauwe et Ji (2016), d'après les données de l'OCDE

En principe, ces politiques structurelles doivent non seulement contribuer à accélérer la reprise, mais aussi à accroître la capacité de la zone euro à absorber les chocs qu’elle sera susceptible de subir à l’avenir. Ce remède a pu trouver une justification dans le cadre de la théorie des zones monétaires optimales. En l’occurrence, lorsque les pays-membres subissent un choc symétrique (c’est-à-dire qui touche simultanément et pareillement l’ensemble des pays-membres), la politique monétaire est en mesure de stabiliser l’activité. Par contre, la politique monétaire peut s’avérer contre-efficace lorsque la zone euro subit un choc asymétrique : si la banque centrale cherche à y répondre, elle ne pourra stabiliser l’activité dans les pays-membres touchés par le choc sans déstabiliser le reste de la zone monétaire. En principe, chaque pays-membre peut contrer les chocs qui lui sont spécifiques en utilisant sa politique budgétaire, mais cette dernière est également contrainte par de fortes contraintes. Par exemple, lors de la crise de la zone euro, les pays-membres qui ont connu les récessions les plus sévères n’ont pu recourir à la politique budgétaire en raison des craintes suscitées par la détérioration de leurs finances et de la hausse subséquente des taux d’intérêt sur les marchés de la dette souveraine. Par contre, beaucoup estiment qu’une zone monétaire est à même d’absorber les chocs asymétriques en l’absence de politiques conjoncturelles si les prix et salaires sont pleinement flexibles. Les réformes structurelles contribueraient ainsi à ce que la zone euro absorbe mieux les chocs asymétriques en accroissant le degré de flexibilité des prix et salaires. 

Paul De Grauwe et Yuemei Ji (2016) doutent qu’une telle prescription de politique économique soit efficace. Pour qu’elle le soit, les chocs asymétriques doivent être permanents. S’ils sont temporaires, un surcroît de flexibilité n’est pas nécessairement une réponse appropriée. En l’occurrence, s’ils résultent du cycle d’affaires, alors ils doivent être contrés par la politique conjoncturelle.

De Grauwe et Ji cherchent alors à déterminer la source des chocs touchant la zone euro. Ils utilisent un filtre Hodrick-Prescott pour estimer la composante tendancielle à long terme du PIB, puis ils extirpent la composante conjoncturelle en soustrayant du PIB observé la composante tendancielle. Ils constatent alors que tous les pays de la zone euro, à l’exception de l’Allemagne, ont connu un déclin du taux de croissance à long terme du PIB. Ce déclin est particulièrement significatif en Grèce, en Irlande, en Finlande, en Espagne, au Portugal et en Italie. D’autre part, il y a une forte variabilité de la composante conjoncturelle de la croissance du PIB. Afin de jauger de l’importance relative des composantes conjoncturelles et tendancielles de la croissance du PIB, ils comparent la croissance moyenne conjoncturelle du PIB avec la croissance tendancielle moyenne du PIB pour chaque pays. Il apparaît que, dans le cas des pays du cœur de la zone euro (l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas), les composantes conjoncturelle et tendancielle sont de magnitudes similaires, même si la composante conjoncturelle est systématiquement plus large que la composante tendancielle. Dans les pays de la périphérie (l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, l’Italie et la Grèce), la composante conjoncturelle est bien plus large que la composante tendancielle. Par conséquent, depuis les débuts de la zone euro, les mouvements conjoncturels ont été le facteur dominant derrière les variations de la croissance du PIB. En outre, les mouvements conjoncturels du PIB apparaissent hautement corrélés dans la zone euro. L’asymétrie entre les pays de la zone euro se révèle, non pas tant dans le manque de corrélation entre les cycles d’affaires, mais dans l’intensité des dynamiques d’expansion et d’effondrement. En d’autres termes, les cycles d’affaires des pays-membres semblent avoir été relativement bien corrélés, sauf dans leur amplitude.

Ainsi, les preuves empiriques suggèrent que les plus gros chocs touchant la zone euro ont résulté des mouvements des cycles d’affaires. Par conséquent, les autorités européennes devraient mettre davantage s’appuyer sur les politiques conjoncturelles pour stabiliser les cycles d’affaires plutôt que de mettre l’accent sur les réformes structurelles. En principe, les fluctuations conjoncturelles peuvent être stabilisées au niveau national par une politique budgétaire contracyclique sans qu’un fédéralisme budgétaire soit nécessaire. Toutefois, comme les cycles d’affaires ne sont pas aussi amples d’un pays-membres à l’autre, les pays qui subissent les plus sévères récessions sont susceptibles de connaître des arrêts brusques (sudden stops) dans les entrées de capitaux qui poussent leur gouvernement à adopter des plans d’austérité, c’est-à-dire une politique budgétaire procyclique, qui aggrave la récession. Les consolidations budgétaires mises en œuvre lors des récessions sont d’autant plus dommageables qu’elles passent souvent par une réduction de l’investissement public, or cette dernière contribue à réduire la croissance économique à long terme.

De Grauwe et Ji estiment que la meilleure façon de gérer des cycles d’affaires dont l’amplitude n’est pas synchronisée est d’embrasser l’union budgétaire. Avec la centralisation d’une partie des Budgets nationaux dans un Budget commun, la détérioration des déficits budgétaires suite à une récession commune se traduit par un déficit au niveau fédéral. Par conséquent, les mouvements de liquidité déstabilisateurs entre les pays-membres que l’on peut observer lors des récessions disparaissent et les autorités budgétaires fédérales peuvent laisser les stabilisateurs automatiques associés au Budget fédéral jouer leur rôle dans le lissage des cycles d’affaires.

Mais dans la mesure où il est peu probable qu’un tel fédéralisme budgétaire soit mis en place à moyen terme, De Grauwe et Ji proposent deux mécanismes alternatifs : d’une part, une assurance-chômage commune à l’ensemble des pays-membres et, d’autre part, l’utilisation du mécanisme européen de stabilité (MES) comme stabilisateur sur les marchés d’obligations publics. En l’occurrence, le MES pourrait acheter des titres publiques et émettre des titres en contrepartie lors des récessions et faire l’inverse lors des expansions ; en stabilisant les marchés d’obligations publiques, le MES permettrait ainsi d’éviter que la zone euro connaisse des mouvements de capitaux déstabilisateurs.

 

Référence

DE GRAUWE, Paul, & Yuemei JI (2016), « Flexibility versus stability: A difficult tradeoff in the Eurozone », CEPR, discussion paper, n° 11372, mars.

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11 juin 2016 6 11 /06 /juin /2016 08:42

Selon n'importe quel manuel de macroéconomie mainstream, un choc d’offre positif favorise la croissance économique, en stimulant la production et en poussant les prix à la baisse, tandis que cette dernière stimule la demande, ce qui facilite la vente du surcroît de production. Toutefois, le modèle de base des nouveaux keynésiens suggère que les chocs d’offre positifs sont moins expansionnistes à la borne inférieure zéro (zero lower bound) qu’en situation normale, lorsque la politique monétaire est efficace. En effet, lorsqu’une économie subit un choc d’offre positif, les prix sont poussés à la baisse, si bien que la banque centrale (en particulier si elle cible un taux d’inflation donné) pourra assouplir sa politique monétaire et les taux d’intérêt nominaux diminueront. Par contre, si les taux d’intérêt nominaux butent sur leur borne inférieure zéro, l’inflation courante et les anticipations d’inflation seront poussés à la baisse, ce qui accroîtra les taux d’intérêts réels et déprimera la production. 

C’est notamment pour cette raison que les nouveaux keynésiens tendent à affirmer que le multiplicateur budgétaire est plus élevé lorsque l’économie est dans une trappe à liquidité qu’en temps normal : en temps normal, la banque centrale tendra à réagir à une relance budgétaire en resserrant sa politique monétaire ; dans une trappe à liquidité, non seulement la banque centrale risque de ne pas resserra sa politique monétaire lorsque le gouvernement adopte un plan de relance, mais ce dernier apparaît même comme opportun, voire nécessaire, pour faire sortir l’économie de sa trappe à liquidité. Plusieurs nouveaux keynésiens estiment que la banque centrale ne pourra davantage stimuler l’activité lorsque les taux d’intérêt butent sur leur borne inférieure zéro que si elle parvient à convaincre les agents que sa politique monétaire sera durablement accommodante et notamment qu’elle laissera un boom de l’activité se passer au sortir de la trappe à liquidité en ne resserrant pas immédiatement sa politique monétaire.

Dans cette logique, la nocivité des chocs d’offre positifs dans une trappe à liquidité serait le pendant de la grande efficacité des chocs de demande positifs. Les nouveaux keynésiens ont alors fortement nuancé l’efficacité des réformes structurelles selon que les taux d’intérêt nominaux sont contraints ou non par leur borne inférieure zéro. En temps normal, les réformes structurelles pourraient, d’une part, stimuler la consommation en réduisant les rentes sur les marchés des produits et, d’autre part, stimuler l’emploi, en raison de ce surcroît de consommation, mais aussi parce que les entreprises peuvent plus facilement ajuster la main-d’œuvre. Lorsque l’économie est dans une trappe à liquidité, tout nouveau choc d’offre positif, associé notamment à la mise en œuvre d’une réforme structurelle, est susceptible de pousser davantage le taux d’intérêt naturel à la baisse et d’aggraver l’insuffisance de la demande. Gauti Eggertsson, Andrea Ferrero et Andrea Raffo (2013) estiment ainsi que si les réformes structurelles, visant à flexibiliser les marches du travail et des produits sont peut-être susceptibles de stimuler l’activité et l’emploi à long terme, mais qu’ils pourraient au contraire les déprimer à court terme, en particulier si l’économie est dans une trappe à liquidité. Jesús Fernández-Villaverde, Pablo Guerrón-Quintana et Juan Rubio-Ramírez (2011) estiment à l’inverse que les réformes structurelles visant à accroître la croissance potentielle sont susceptibles de stimuler l’activité lorsque l’économie est piégée dans une trappe à liquidité, précisément parce que les agents, devenus plus optimistes à long terme quant à la hausse de leur pouvoir d’achat, sont incités à consommer davantage à court terme.

Certains, notamment Paul Krugman, sont allés plus loin en suggérant que les chocs d’offre négatifs étaient susceptibles de stimuler l’activité lorsque l’économie était piégée dans une trappe à liquidité. Gauti Eggertsson (2012) estime ainsi que la loi de redressement industriel national (National Industrial Recovery Act ou NIRA), qui fut mis en œuvre par le gouvernement américain en 1933, alors même que les Etats-Unis étaient piégés une trappe à liquidité, a pu stimuler la production domestique en accroissant le pouvoir de marché des entreprises sur les marchés des biens et services et le pouvoir de négociation des travailleurs sur le marché du travail. En l’occurrence, cette loi aurait contribué à enrayer la spirale déflationniste en empêchant les prix et les salaires de diminuer et donc de déprimer davantage la demande. Jérémie Cohen-Setton, Joshua Hausman et Johannes Wieland (2015) sont plus partagés sur l'impact que les mesures prises par le Front populaire ont pu avoir sur l'économie française lors de la Grande Dépression.

Afin d’éclairer ces débats, Julio Garín, Robert Lester et Eric Sims (2016) ont récemment testé les prédictions du modèle de base des nouveaux keynésiens en utilisant les séries de données de John Fernald (2014) relatives à la production totale des facteurs ajustés en fonction de l’utilisation des capacités de production. Ils estiment alors les réponses de la production aux variations de la productivité, d’une part, lorsque les taux d’intérêt nominaux sont contraints par la borne inférieure zéro et, d’autre part, lorsqu’ils ne le sont pas. En cohérence avec les prédictions du modèle de base, les chocs de productivité positifs dépriment davantage l’inflation à la borne inférieure zéro qu’en temps normal : l’inflation ne réagit pas significativement à un choc de productivité en temps normal, mais elle ralentit fortement lorsque les taux d’intérêt sont contraints par leur borne inférieure zéro. Par contre, à l’inverse des prédictions néo-keynésiennes, les auteurs constatent que les chocs de productivité positifs sont plus expansionnistes à la borne inférieure zéro qu’en temps normal. Après deux trimestres, il n’y a pas de différences dans la réponse de la production aux chocs de productivité selon que les taux d’intérêt soient contraints ou non par leur borne inférieure zéro. Garín et ses coauteurs en concluent que le modèle de base des nouveaux keynésiens est défaillant à un niveau ou à un autre. Ils concluent ainsi qu’il faut prendre avec précaution les remèdes préconisés par les nouveaux keynésiens pour sortir les économies d’une trappe à liquidité.

 

Références

COHEN-SETTON, Jérémie (2015), « Supply policies at the zero lower bound », Bruegel (blog), 30 mars.

COHEN-SETTON, Jérémie, Joshua K. HAUSMAN & Johannes F. WIELAND (2015), « Supply-side policies in the Depression: Evidence from France », NBER, working paper, n° 22140, mars.

EGGERTSSON, Gauti B. (2012), « Was the New Deal contractionary? », in American Economic Review, vol. 102, février.

EGGERTSSON, Gauti B., Andrea FERRERO, Andrea RAFFO (2013), « Can structural reforms help Europe? », Réserve fédérale, international finance discussion paper, novembre.

FERNALD, John (2014), « A quarterly, utilization-adjusted series on total factor productivity », Federal Reserve Bank of San Francisco, working paper, n° 2012-19, avril.

FERNÁNDEZ-VILLAVERDE, Jesús, Pablo A. GUERRÓN-QUINTANA & Juan RUBIO-RAMÍREZ (2011), « Supply-Side Policies and the Zero Lower Bound », NBER, working paper, n° 17543.

GARÍN, Julio, Robert LESTER & Eric SIMS (2016), « Are supply shocks contractionary at the ZLB? Evidence from utilization-adjusted TFP data », NBER, working paper, n° 22311, juin.

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