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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 16:57

Les réseaux sociaux, notamment en affectant le flux et la qualité des informations, sont susceptibles de façonner les phénomènes économiques. Ils influencent la création même d’innovations, tout comme leur diffusion à travers la population. Pourtant, si la modélisation des comportements individuels prend de plus en plus compte des interactions sociales, celles-ci sont quasiment absentes dans les analyses menées directement au niveau agrégé. Alessandra Fogli et Laura Veldkamp (2012) ont adopté une approche immédiatement macroéconomique pour étudier les types de réseaux sociaux qui sont adoptés dans l’économie et voir comment ils affectent la diffusion des technologies en son sein.

Ces deux auteurs déploient les outils de l’analyse des réseaux pour explorer comment une différence dans les structures sociales peut affecter le taux de progrès technique d’un pays. Plusieurs travaux de sociologie économique, notamment ceux de Mark Granovetter (2005), ont montré que certains réseaux sociaux sont susceptibles de propager plus rapidement que d’autres les nouvelles technologies. Fogli et Veldkamp vont toutefois se singulariser en partant de l’idée que maladies et technologies se propagent de manières similaires. En effet, alors que l’on pourrait penser que les médias impimés et électroniques facilitent le transfert des nouvelles idées et du capital technologique, une branche de la littérature sur la croissance économique met toutefois l’accent sur la proéminence du contact personnel dans la diffusion technologique. En ce sens, les auteurs rejoignent explicitement Kenneth Arrow. Selon ce dernier en effet, « tandis que les médias de masse jouent un rôle certain pour informer les individus à propos des possibilités d’une innovation, il semble que ce soit le contact personnel qui s’avère le plus pertinent pour son adoption. Donc, la diffusion d’une innovation devient un processus formellement semblable à la propagation d’une maladie infectieuse ».

Fogli et Laura développent un modèle où les acteurs sociaux optent pour un réseau collectiviste ou individualiste. Si chacun à l’intérieur d’un collectif entretient de forts liens d’amitié avec les autres membres, chaque collectif n’entretient toutefois que peu de liens avec le reste de la communauté. Cette connectivité réduite limite peut-être le risque d’infection dans un collectif donné, mais elle limite également son exposition aux nouvelles technologies. En revanche, des réseaux sociaux plus individualistes, marqués par de moindres relations amicales, présenteront une plus grande efficacité économique en favorisant la diffusion technologique. La fréquence des maladies contagieuses va alors modifier les performances économiques des communautés en modifiant la répartition des individus entre réseaux collectivistes et individualistes. Le modèle suggère que lorsque les maladies sont moins fréquentes, le plus grand succès des individus individualistes va conduire la communauté elle-même à devenir plus individualiste. En revanche, une forte fréquence des maladies contagieuses va conduite à la formation de collectifs qui permettront certes de réduire la contagion, mais freineront aussi en définitive la diffusion technologique et la croissance économique.

L’idée que la prévalence des maladies et la structure sociale puissent être reliées l’une à l’autre permet d’isoler et de quantifier l’impact de la structure sociale sur la diffusion des technologies. Isoler cet effet n'est pas sans difficultés en raison de l’existence d’une causalité inverse : la diffusion technologique, en participant directement à l’évolution du revenu, peut également façonner par effet retour la structure sociale. Utiliser les données de prévalence des maladies permet aux auteurs de contourner ce problème. Ils utilisent plus exactement les différences dans la prévalence de deux types de maladies. D’un côté, les auteurs considèrent les maladies qui se propagent d’une personne à l’autre et qui sont alors propres à influencer la structure sociale puisque modifier, voire réduire ses relations sociales permet de prévenir la transmission pathogène. Le second type de maladies que les auteurs prennent en compte est celui des maladies transmises seulement par l’animal ; la prévalence de telles maladies ne peut alors affecter la structure sociale puisque le contact humain direct n’affecte pas la probabilité d’être infecté.

Cette modélisation permet au final d’expliquer pourquoi la maladie contagieuse peut être corrélée avec la structure sociale, comment cette dernière peut influencer la diffusion technologique et la productivité, et pourquoi des structures sociales inefficaces peuvent persister. Une fois quantifié, le modèle montre que de petites différences qui seraient initialement observées dans l’environnement épidémiologique sont susceptibles de générer de larges et persistantes différences dans la structure sociale. Ces différences dans la structuration des réseaux sont quant à elles propres à entraîner une profonde divergence dans la diffusion technologique et la trajectoire du PIB. Certes, une mutation des réseaux sociaux a un effet certes limité sur le taux annuel de diffusion technologique, mais toutefois suffisant pour que les effets s’accumulent au cours du temps et que de larges différences apparaissent à long terme dans les niveaux de productivité. Des changements dans les réseaux produisent donc des différences dans les taux de diffusion technologique qui pourraient expliquer une part significative de la disparité entre les revenus des pays. Tandis que la transmission d’idées permet d'atteindre plus facilement de hauts niveaux de productivité, la prévalence de la maladie diminue la productivité. Pour déterminer l’effet net de ces deux forces, Fogli et Veldkamp simulent le modèle plusieurs fois et observent les survenues moyennes. Si la société se caractérise par un réseau individualiste, l’économie connaîtra en moyenne une croissance de la technologie d'un taux annuel de 2,6 %. L’économie dotée de réseaux collectivistes ne connaît quant à elle qu’une croissance de 2% par an. Ces petites différences dans les taux de croissance produisent à long terme de larges différences de niveaux. Le niveau moyen de technologie est de 476 % plus élevé dans le réseau individualiste que le réseau collectiviste au bout de 250 ans. A long terme, la petite friction que la structure des réseaux impose à la diffusion technologique peut expliquer les larges différences entres les revenus des pays.

Fogli et Veldkamp collectent des données historiques relatives à la prévalence des maladies contagieuses, à la nature (collectiviste ou individualiste) des réseaux sociaux constituant les sociétés et à la diffusion technologique. Ils compilent une base de données comprenant 3 variables pour 62 pays, puis l’utilisent pour tester les prédictions de leur modèle à propos de la relation entre la prévalence de la maladie et la structure sociale. La prévalence de la maladie apparaît alors comme un puissant instrument pour la structure sociale. Ils estiment l’effet de la structure sociale sur la diffusion technologique en utilisant la différence entre maladies contagieuses et non contagieuses comme instrument. Une hausse du degré d’individualisme se traduit par un fort relèvement du niveau de productivité. Le degré d’individualisme pourrait en effet expliquer 27 à 28 % de la variation des taux de diffusion technologique.
 

Références Martin ANOTA

FOGLI, Alessandra, & Laura VELDKAMP (2012), « Germs, social networks and groth », CEPR working paper, octobre, n° 9188.

GRANOVETTER, Mark (2005), « The impact of social structure on economic outcomes », in Journal of Economic Perspectives, vol. 19, n° 1.

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