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7 avril 2012 6 07 /04 /avril /2012 18:15

Si le volume du commerce mondial tripla entre 1990 et 2007, les exportations chinoises furent multipliées par 12 sur la même période. L’intégration croissante de la Chine dans le commerce international suscite naturellement une inquiétude des pays développés concernant les secteurs industriels dans lesquels ils possèdent un avantage comparatif. Reprenant la théorie de Ricardo pour l’appliquer aux relations sino-américain, Paul Samuelson (2004) avait affirmé que les économies développées peuvent souffrir d’un accroissement de productivité de la Chine dans les secteurs où celle-ci ne possède initialement pas d’avantages comparatifs. Aujourd’hui, Giovanni, Levchenko et Zhang (2012) proposent un modèle alternatif et concluent de leur côté qu’une amélioration technique de la Chine dans les secteurs où elle possède un désavantage comparatif favorise l’économie mondiale et notamment les économies avancées.

Dans le modèle que présente Samuelson (2004), l’économie mondiale ne se compose que de deux pays : la Chine et les Etats-Unis. La première se compose de 1 000 travailleurs tandis que 100 travailleurs sont présents sur le sol américain. Seuls deux biens sont produits, en l’occurrence le bien 1 et le bien 2. En l’absence de spécialisation, les travailleurs dans chaque pays se répartissent également entre les deux secteurs industriels. Les productivités étasuniennes sont respectivement Π1 = 2 et Π2 = 1/2 pour la production du bien 1 et celle du bien 2 ; les productivités chinoises sont respectivement égales à π1 = 1/20 et π2 = 1/5 pour la production du bien 1 et celle du bien 2. Par conséquent, selon la loi des avantages comparatifs, les Etats-Unis se spécialisent dans la production de bien 1 et en produisent 200 unités ; la Chine se spécialise dans la production de bien 2 et en produit 200 unités. Les deux pays procèdent à des échanges internationaux et chacun dispose d’un revenu par tête plus élevé qu’il ne l’aurait été en situation autarcique. Les consommateurs disposent ainsi d'un plus grand pouvoir d'achat. Si les ajustements sectoriels peuvent être douloureux à court terme, les bénéfices à long terme font plus que les compenser. A ce point de l’exposé, la simple application de la théorie ricardienne tend à soutenir la thèse du libre-échange puisque chacune des deux économies trouve un gain net à l’échange.

Samuelson fait alors intervenir le progrès technique et développe deux scénarii :

1. Il suppose tout d’abord que la productivité chinoise quadruple dans la production du bien 2, c’est-à-dire le bien exporté vers les Etats-unis, et passe de π2 = 1/5 à π2 = 8/10. Les Etats-Unis restent spécialisés dans la production de bien 1 et la Chine dans celle du bien 2. Les travailleurs étasuniens produisent toujours 200 unités de bien 1, mais désormais la Chine produit 800 unités de bien 2. Les Etats-Unis conservent une part du gain lié à l’augmentation de la production mondiale. La Chine peut quant à elle connaître un processus d'auto-appauvrissement (self-immiseration) : si les demandes sont peu élastiques, les gains de productivité entraînent une détérioration de ses termes de l'échange et par là une baisse de son revenu par tête ;

2. Samuelson suppose ensuite que la Chine voit au contraire sa productivité quadrupler dans la production du bien 1, c'est-à-dire celui pour lequel les Etats-Unis disposaient initialement d’un avantage comparatif ; la productivité chinoise passe en l'occurrence de π1 = 1/20 à π’1 = 8/10. La Chine devient alors plus productive que les Etats-Unis dans ce secteur manufacturier. La production potentielle s’accroît, mais les avantages comparatifs disparaissent, si bien que les deux pays n’ont plus intérêt à se spécialiser et échanger. Les Etats-Unis produisent 100 unités du bien 1 et 25 unités du bien 2. Le revenu par tête étasunien chute alors fortement.

Selon le secteur concerné, soit un gain de productivité profite à l’ensemble des pays échangistes (premier scénario), soit il ne profite qu’au seul pays au sein duquel il apparaît, les pays étrangers connaissant alors des pertes durables de bien-être (second scénario). En définitive, si Samuelson ne recommande pas pour autant l’adoption de mesures protectionnistes, son propos vise toutefois à fortement nuancer l’image idyllique que les partisans du libre-échange (notamment Bhagwati) peuvent donner de l’intégration chinoise.

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Julian di Giovanni, Andrei Levchenko et Jing Shang (2012a) présentent un modèle multifactoriel multi-pays pour réévaluer les résultats de Samuelson. Ils utilisent des données issues de 19 secteurs industriels et de 75 pays. Les auteurs mettent alors en scène deux scénarii :

1. Dans le scénario d’une croissance « équilibrée », le taux de croissance de la Chine dans chaque secteur est identique et égal au taux moyen observé entre les années quatre-vingt-dix et deux mille (1,32 % annuellement), si bien que les avantages comparatifs dont dispose la Chine perdurent ;

2. Dans le scénario d’une croissance « déséquilibrée », le taux de croissance de la Chine est plus élevé dans les secteurs où elle présente un désavantage comparatif, si bien que les différences de la productivité relative de la Chine par rapport aux pays les plus performants dans chaque secteur s’atténuent.

La productivité moyenne de la Chine est la même dans les deux scenarii, mais ces derniers diffèrent selon les productivités relatives des secteurs. Selon Giovanni et alii, les gains moyens sont dix fois supérieurs dans le scénario déséquilibré que dans le scénario équilibré. La croissance déséquilibrée de la Chine bénéficie particulièrement aux pays devenant similaires à la Chine. Les résultats obtenus par Samuelson disparaissent donc dans un modèle avec plus de deux pays et plus de deux biens. Le bien-être étasunien ne diminue pas forcément lorsque la technologie sectorielle de la Chine se calque sur celle des Etats-Unis.

La Chine connaît une forte productivité relative dans des secteurs tels que le textile que les auteurs qualifient de « communs », dans le sens où plusieurs pays ont eux-mêmes également une productivité élevée dans ces secteurs ; elle connaît au contraire des désavantages comparatifs dans des secteurs tels que la comptabilité ou l’informatique, qualifiés de « rares » dans le sens où seuls peu de pays connaissent une forte productivité dans ces secteurs. Selon les résultats empiriques obtenus par Giovanni et alii, le reste du monde profiterait effectivement d’une forte croissance de la productivité chinoise dans les « rares » secteurs. Le progrès technique, bien qu’atténuant les désavantages comparatifs de la Chine, ne serait pas aussi nocif pour les économies avancées que ne le pensait Samuelson.

 

Références Martin Anota

GIOVANNI, Julian di, Andrei LEVCHENKO & Jing ZHANG (2012a), « The Global Welfare Impact of China: Trade Integration and Technological Change », IMF working paper, mars.

GIOVANNI, Julian di, Andrei LEVCHENKO & Jing ZHANG (2012b), « Can China’s growth lower welfare in developed countries? A refutation of the Samuelson conjecture », in VoxEu.org, 2 avril.

SAMUELSON, Paul (2004), « Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization », in Journal of Economic Perspectives, vol. 18, n° 3, été, pp. 135–146.

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